Le Bouledogue Français pour passion - Entretien avec Françoise Girard
Quel amateur de Bouledogue Français n’a pas lu les livres de Françoise Girard ? Moi, en tout cas, je les ai dévorés. C’est par le Cercle Européen du Bouledogue Français que je suis entré en contact avec elle et je lui demandé si elle accepterait de répondre à quelques questions sur le "Boule" mais aussi sur son élevage :
Françoise, comment avez-vous découvert le Bouledogue Français et comment est né l’élevage de Landouar ?
Notre premier contact avec les bouledogues français se situe en 1964 au moment où nous avons quitté la région grenobloise pour venir habiter en Bretagne où nous avions une propriété familiale de vacances. Mon mari serait absent toute la journée et je devrais rester seule avec mes 3 enfants de 6,4 et 2 ans dans une maison entourée de champs encore labourés avec des chevaux, où pâturaient les vaches du pays et où les rares maisons les plus proches n’étaient habitées que pendant les vacances scolaires d’été. Il me fallait donc un chien qui puisse avertir d’une présence par ses aboiements, qui ait « une gueule dissuasive » mais qui soit doux et pas trop puissant pour ne pas renverser le petit dernier. Et condition indispensable selon mes critères personnels de beauté : ce devait être une face plate ! Nous avons écarté le boxer un peu trop fougueux, le bull anglais quasiment introuvable à l’époque et un peu trop nonchalant. Restait donc le bouledogue français, qui selon les revues de l’époque possédait les qualités requises. Trouver un bouledogue quand il n’y a guère qu’une centaine de naissances par an était un défi. Mais nous avons trouvé à Médis en Charente maritime, une chienne boule bringée de 6 mois Nebka de la Verdonnerie. Le trajet Grenoble – Saint Jacut de la mer est donc passé par le chemin des écoliers pour aller la récupérer. Elle avait toutes les qualités que nous attendions d’elle. Elle fut une nounou pour les enfants qui n’hésitait pas à prendre un air féroce quand quelqu’un sonnait au portail, et qu’elle me pardonne, j’osais dire aux quelques intrus qui passaient par là « qu’il fallait beaucoup s’en méfier car elle n’était pas facile ». C’était une crème de chienne et 6 mois après, conquis par la race nous lui donnions un compagnon, également bringé Orion des Eaux vives de la Nugère. Nous n’avons pas eu de chance car nous les avons perdus en 1968, Nebka d’un pyomètre suivi d’une septicémie foudroyante et Orion quelques semaines après, j’oserais dire de chagrin, car il a perdu tout son entrain et finit par mourir d’un infarctus quelques semaines après. Nous aurions certainement repris un boule mais mai 68 est passé par là.
A l’époque j’étais considérée « comme la dame qui soigne les bêtes ». Pas de vétérinaire à moins de 20 kms et on m’amenait tous les éclopés possibles, mouette ou héron blessés, chouette, renardeaux dont on avait tué la mère à la chasse etc.… sans compter les piqures que j’allais faire aux chiens atteints de diabète ou de cushing que les propriétaires se sentaient incapables de faire eux-mêmes. A cette époque j‘ai donc récupéré un chien de type berger belge Wolf sans doute jeté d’une voiture puis deux chiennes griffons korthals délaissées sans abri dans un chantier de planches hérissées de clous.
En 1973 nouvelle profession : nous créons une discothèque et adoptons comme « videur » un beau dogue de Bordeaux, Igor du Mont Clarence, puis Linka du bois des Cannelles et Nina du domaine des sources. Nous garderons ensuite une fille d’Igor, Olga de Landouar puisque en 1974 nous avions choisi d’élever sous l’affixe « de Landouar », Landouar (terre de landes, terre des ajoncs) étant le nom de notre village avant qu’il soit évangélisé par St Jacut.
Quelles sont les qualités qui vous attirent le plus dans cette race ?
Le virus du bouledogue ne nous avait pas quittés.
Il n’existe aucune race dont le caractère rappelle celui du bouledogue français. C’est un chien qui a une forte personnalité, capable de tenir tête mais de céder pour faire plaisir, très proche de ceux qu’il aime sans être servile, gai et spontané, mais tendre et calme si la situation l’exige. Ceux qui ont souffert de maladie pendant un temps savent combien leur présence peut-être réconfortante et dynamisante. Il est « quelqu’un », avec ses qualités mais n’est pas sans défaut et c’est sans doute cela qui fait son charme.
Le manque était trop fort. Finalement en 1979 une petite boule bringée quasiment noire, Palmyre est arrivée, devenant de par sa nature et sans délai, la reine de notre ménagerie. Quelques mois plus tard, Pamela de la Fontaine des Eaux, tout aussi noire, venait lui tenir compagnie Si « le chien d’une vie » existe, Palmyre l’a incontestablement été. C’était « mon ombre », mon double. Sa perte à 12 ans a été un terrible chagrin et elle n’a jamais été remplacée dans mon cœur, même si je les ai tous beaucoup aimés. Le doigt était mis dans l’engrenage de la reproduction et finalement 407 chiots vivants ont porté le nom de Landouar, jusqu’en 2007 où nous avons fait notre ultime portée.
Quels problèmes particuliers avez-vous rencontré au début de votre «carrière» d’éleveur ?
Nos débuts n’ont pas été difficiles car j’avais acquis beaucoup d’expérience technique en élevant et en assurant la reproduction de très nombreux animaux, oiseaux (de la perruche au dindon tricolore du Colorado) ou mammifères ( de la souris de couleur au lama guanaco) et comme notre production participait au Salon de l’Agriculture, où nous avons remporté plusieurs premiers prix, la génétique et la sélection étaient un passage obligé.
Vous avez fait un travail de sélection reconnu, rencontré de nombreux succès en expositions mais aussi fait de nombreux heureux parmi les maîtres des chiens que vous avez vendu, qu’est-ce qui est le plus gratifiant ?
En production canine on a le choix entre être « producteur » ou être éleveur. Le producteur, comme son nom l’indique, fait naitre des chiots, avec plus ou moins de talent, de compétence, ou de soins, faisant ou non des expositions peu importe. L’éleveur a pour moi une autre dimension : il entretient, nourrit et soigne les produits de son cheptel, mais comme le souligne l’étymologie du mot « élever » il le porte plus haut, à un niveau supérieur, il donne à ses produits et par la même à la race entière plus de valeur. C’est un challenge à chaque accouplement. Cela demande beaucoup de travail mais aussi une très bonne connaissance de la race, de ses problèmes, de son passé et comme je n’ai eu un ordinateur qu’en 1992 ce sont des quantités de documents amassés, de lectures et de contacts avec l’étranger qui m’ont formée. Mon but était avant tout de créer une lignée reconnaissable et dominante. Il fallait bien sur exposer ne serait-ce que pour avoir d’autres avis, avoir des titres de champions nationaux ou internationaux pour être reconnus par ses pairs, mais ma plus grande satisfaction était qu’un juge reconnaisse un Landouar à l’œil, alors qu’il ne connaissait pas le propriétaire et qu’en plus le chien ne portait pas notre affixe ou n’en avait pas mais avait un des ses parents ou plusieurs « landouar » dans son pedigree.
Une autre grande satisfaction est d’avoir fait de la plupart de nos clients des amis. Nous avons reçu des nouvelles de la plupart d’entre eux et ils continuent à garder le contact même s’ils ont perdu leur bouledogue ou en en pris un autre.
Quels sont les chiens qui ont marqué le plus votre vie ?
De tous mes « enfants » certains ont été particulièrement remarquables : Uber-Felix, première réussite pour sortir de la robe noire et obtenir un bringé magnifique qu’il a transmis. Etalon remarquable il a été le père de 179 descendants. Boris le caille dont le profil était ciselé comme un bijou, légèrement moins performant mais à qui on doit tout de même 132 descendants, la si belle Eaulympe qui aurait pu atteindre la perfection si elle avait eu le cou un peu plus long et qui joignait la prolificité à la beauté en « pondant » des portées de 10 et dont les descendantes étaient également très fécondes et particulièrement belles puisque 4 ont été championnes nationales et/ou internationales, Crindle’s Tender Tamblyn, dit James le seul étalon que nous ayons jamais acheté car nous n’arrivions pas à trouver en France de lignée suffisamment distincte de la notre. De la totalité de notre cheptel nous n’avons acheté que 4 chiens à l’extérieur, Palmyre, Pamela, Ramona qui avait besoin d’être secourue et James. Sinon tous sont nés chez nous ou sont issus de saillies de nos étalons sur des chiennes extérieures. Par contre nous n’avons pas hésité à faire saillir nos chiennes à l’étranger, en Allemagne, en Suisse, en Italie pour tenter de trouver l’étalon qui apporterait une qualité spécifique ou serait susceptible de corriger un défaut de notre lignée.
Quelques photos :
Palmyre de Landouar
Huber Félix de Landouar
Boris de Landouar
Crindle's Tender Tamblyn
Eaulympe de Landouar
Iulka de Landouar, première fauve confirmée en France
U2 et Chiwen de Landouar
Avez-vous une couleur préférée ?
J’aime les beaux chiens bien équilibrés quelque soit leur couleur. Cependant j’ai une préférence pour les cailles car il est difficile d’obtenir à la fois une robe bien blanche, des taches bringées et harmonieuses, l’absence de mouchetures dans la robe ou de tavelures sur la peau et conserver le bord des paupières bien pigmenté
Par ailleurs je suis assez fière que mon travail sur la présentation et la demande de l’admission de la robe fauve auprès de la SCC sous la présidence de Mr Fontana ait permis plus tard à Mme Guillon de faire admettre définitivement la robe fauve dans le standard, car, à l’époque les oppositions étaient fortes.
Le Bouledogue est devenu, depuis un peu plus d’une décennie, une race que l’on pourrait qualifier de «à la mode», et il s’en est suivi une augmentation impressionnante des naissances. Que pensez-vous de cet état de fait ? Est-ce une chance ou une malchance pour la race ?
Toutes les races qui ont eu à subir ce phénomène de mode n’en sont jamais sorti par le haut. Le bouledogue ne fera malheureusement pas exception et les contacts que j’ai conservés à l’étranger montrent qu’hélas le phénomène n’est pas seulement français. Accroissement des problèmes de santé qui existaient déjà, apparition de nouveaux problèmes inconnus jusqu’alors, multiplication de sujets manquant de types, multiplication de mise sur le marché de chiens d’apparence bouledogue français., achats inconsidérés par des propriétaires qui méconnaissent la race ou qu’on a soigneusement laissés dans l’ignorance, multiplication des abandons etc…
Il ne reste plus qu’à espérer qu’une autre race, pour son malheur, prenne le relai. Mais il faut toujours plus de temps pour redresser la barre que pour l’abaisser et souvent les meilleurs éleveurs écœurés ont disparu au moment même où on aurait le plus besoin d’eux.
Aujourd’hui, vous avez encore des chiens autour de vous, vous apportent-ils toujours autant de plaisir ? Votre passion est-elle intacte ?
Je suis certes fière des titres de champions ( 18 champions de France, 12 internationaux, 2 du Luxembourg, 1 d’Italie et 3 de Monaco) remportés grâce aux kilomètres parcourus par mon époux mais je le suis d’avantage en voyant l’empreinte que l’élevage a laissé dans sa globalité à la race du bouledogue pendant deux décennies, même si, et c’est normal, la lignée avait des détracteurs !
Ecrire des livres ou des articles en France ou à l’étranger pour faire mieux connaitre la race et aider les éleveurs dans leur travail m’a aussi apporté beaucoup de satisfaction. Je suis stupéfaite que le dernier ait pu être vendu par les Editions de Vecchi à plus de 47000 exemplaires.
C’est donc sans amertume et avec le sentiment du travail bien fait que nous avons cessé l’élevage quand nous avons pensé que le travail physique nécessaire à bien élever des portées allait devenir pénible et qu’il ne serait plus un plaisir mais une corvée.
Nous vivons toujours en compagnie de bouledogues, avec mes deux dernières filles U2 qui a 10 ans et sa fille Chiwen 6 ans, qui comme son nom chinois l’indique est le petit dragon bienfaiteur qui protège la maison. Nous sommes toujours en contact de par le monde avec nombre d’amoureux de la race et notre passion pour le Bouledogue français reste toujours intacte et enrichissante.
Un grand merci à Françoise pour avoir accepté cet entretien.
Edité à compte d'auteur
Ses livres aux éditions De Vecchi :
Hors série Vos Chiens
écrit par Jean-Pierre Girard
Retrouvez les tous les chiens de Françoise et Jean-Pierre Girard sur leur site :
A découvrir aussi
- Quand les Épagneuls nains anglais inspiraient les peintres
- La couleur crème chez le Spitz
- Affaire de Sery-Magneval, épilogue
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 18 autres membres